L’impro, les voyages dans le temps et la quarantaine…

L’impro, les voyages dans le temps et la quarantaine…

Une théorie scientifique sur le temps, citée par le Dailymail[1], propose que le passé, le présent et le futur n’existent pas, qu’il s’agit en réalité d’une illusion et qu’en définitive tout se déroule simultanément et que seul le “présent” demeure. Cette théorie n’est actuellement qu’une conjecture qui n’a toujours pas été prouvée, je ne suis pas compétent scientifiquement et bien que je sois toujours assez friand de ce genre de théorie, la réflexion qui en découle ne porte pas sur la véracité de la théorie mais plus sur ses conséquences sur nos vies et sur notre pratique de l’improvisation…

La théorie mentionnée remet en question la notion selon laquelle le temps s’écoule paisiblement et inlassablement comme une rivière sur laquelle nous voguons[2]. Le temps n’avancerait pas, il serait tout le temps présent. Difficile de se représenter cette théorie et c’est ici que s’arrêtent les concepts scientifiques pour passer à d’autres plus philosophiques et improvisationnels. Si le temps ne s’écoule plus, il faut imaginer une sorte d’univers temporel (et non spatial) en trois dimensions où notre passé, présent et futur actuels existent simultanément dans cet univers temporel. Comme il est impossible d’être à deux endroits en même temps, il est impossible d’être à deux endroits temporels différents en même temps, les voyages temporels sont donc impossibles. Ce que cela implique pour notre expérience du présent c’est que, que nous le voulions ou non, nous sommes inéluctablement ancrés dans le présent. Ce qui est religieusement comique, c’est que cette théorie rassemble à la fois les fervents défenseur du déterminisme et ceux pour le libre arbitre; en effet, comme les jésuites, vous avez des choix à opérer dans l’instant présent qui ont des conséquences sur les autres endroits temporels, mais comme les jansénistes, votre “futur” étant simultané, votre “avenir” est prédestiné puisqu’il se déroule en même temps… Dès lors, métaphysiquement, votre destinée n’existe que maintenant et comme lorsque l’on a plusieurs événements simultanés mais spatialement épars (fête de famille, anniversaire d’un ami, concert important), il est illogique de vouloir y être à tous ou alors vous n’en profiterez vraiment d’aucun. Ainsi, concentrez vous sur le “présent”, le maintenant, sur ce que vous vivez, car c’est le seul moyen d’en faire l’expérience complète, unique, intense et en pleine conscience !

Ce que cette réflexion nous apporte pour notre pratique de l’improvisation théâtrale, c’est la nécessité d’être spatialement et temporellement dans l’ici et le maintenant. Notre intelligence peut facilement nous emmener dans des chimères de projections passées et futures qui n’existeront jamais. Parfois et en fonction de notre intellects ou plutôt grâce à notre capacité de dissonance cognitive[3], nous sommes capables d’obtenir des projections ou plutôt une interprétation de ces projections qui soit proche de ce qui se passe. Il faut vraiment comprendre que cette notion de dissonance cognitive est importante dans le sens où l’on s’oblige à croire que notre réflexion était correcte car on ne peut supporter l’idée que nous n’avons pas de possibilité d’anticiper ce “futur”. Trop souvent, nous passons notre maintenant à élaborer des inepties sur ce “futur” qui n’existe pas et nous continuons à le passer à nous convaincre que ces inepties sont vraies… C’est absurde ! Ainsi, nous perdons notre conscience du maintenant… Notre intellect est notre pire ennemi, il nous déconnecte de la conscience de l’instant. Un improvisateur n’est pas celui qui est doué en dissonance cognitive mais plutôt celui qui est en pleine conscience de l’instant et qui profite de ce moment unique. L’improvisateur doit être celui qui choisit d’être pleinement à la fête d’un ami et ne penser qu’à cela et pas à la fête de famille ou au concert manqué.

Enfin, et c’est peut-être l’une des leçons à vivre dans ce confinement forcé des jours derniers. Nombreux sont ceux qui passent leurs journées à se demander quand ces jours de replis forcés seront terminés. Ne vous mettez pas dans une situation où vous conjecturez en permanence sur ce qui adviendra car n’oubliez pas, tout se passe maintenant. Vivez donc en pleine conscience ces moments, c’est peut-être aussi ce qui fait que les enfants ont l’impression que le temps dure plus longtemps que les adultes, à trop vouloir imaginer ce qui adviendra, on oublie de prendre le temps de vivre le maintenant. Profitez de cette quarantaine pour être en pleine conscience de votre maintenant, c’est précieux ! 

Maxime Dufresne


[1] O’Callaghan Jonathan, “Is your future already decided? New theory of time suggests that the past, present AND future co-exist in the universe”, in Dailymail online, https://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-2932870/Is-future-decided-New-theory-time-suggests-past-present-future-exist-universe.html

[2] “The old adage that ‘time is like a river’, suggesting that we move through it like a ship sailing on water, may be wrong.”, Ibid.

[3] Selon la théorie de la dissonance cognitive, lorsque les circonstances amènent une personne à agir en désaccord avec ses croyances, cette personne éprouvera un état de tension inconfortable appelé dissonance, qui, par la suite, tendra à être réduit, par exemple par une modification de ses croyances dans le sens de l’acte. https://www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/theories/influence/6-la-theorie-de-la-dissonance-cognitive